Pourquoi un coup de com si semblable sur le papier a déclenché un buzz positif pour le premier est un bad buzz pour la seconde ? Par quelles mécanismes avons-nous tous sauté à pieds joints dans le scénario de Stromae, sans lui tenir rigueur de la supercherie. Là où la vidéo d’Elisa Tovati a été largement raillée de la sortie à la révélation, provoquant même de la colère.
Tentons de décrypter les mécaniques de ces deux lancements de clips.
Formidable, Stromae
1. Le contexte
En 2013, cette vidéo apparaît sur internet avec le titre “Stromae bourré à Bruxelles”.
Le chanteur vient d’exploser avec son premier album : tout le monde le connaît, il est encensé par la presse comme le public. Son image est celle d’un artiste talentueux, créatif dont le travail est à la fois innovant, exigeant et accessible. Difficile de faire mieux en termes d’image de marque.
Par ailleurs, Stromae a déjà utilisé Youtube pour percer via ses leçons, il en connaît les rouages et les codes. C’est un bon communicant.
Crédit artistique : 100/100
Hype : 100/100
2. La vidéo (la forme)
Le prank de Stromae est épuré et spontané. En tout cas, le dispositif permet de le penser : une seule caméra, pas de dialogue, des passants qui interagissent naturellement avec lui. La simplicité donne de la crédibilité à la vidéo.
3. Le message
En dehors du titre sciemment putaclic, la séquence elle-même ne téléguide pas la pensée du téléspectateur. L’action est minimaliste et prend son temps, pour laisser chacun en faire son interprétation, dans une zone grise entre ivresse et tristesse. La question est là, il n’y en a pas d’autre.
La scène est surprenante, insolite parce que le protagoniste est célèbre et que les faits ne collent pas avec son image. Mais en soi, ce n’est pas vraiment choquant ni réellement inquiétant : être sorti déchiré de soirée un jour au petit matin, si ce n’est pas glorieux, peut raisonner chez tout le monde.
Ensuite, la notoriété de Stromae a suffit pour assurer la viralité de la vidéo.
4. Le reveal
Là encore, Stromae prend son temps et impose son agenda de révélation. C’est après quelques jours de silence que sort le clip, sans explication. Le clip se suffit à lui-même. Stromae a joué avec nous, laissant planer le doute sur un fait assez anodin, dont le côté exceptionnel ne reposait que sur le fait qu’il est célèbre. Nous avions vu la zone grise et nous pouvions nous mettre à sa place. Nous étions “complices” de sa blague. De plus le clip et le message font sens. Donc tout le monde applaudit de bon coeur…
5. La nouveauté
… Et admire le procédé, très nouveau à l’époque.
Elisa Tovati, La vérité si je mens
1. Le contexte
Elisa Tovati révélée pour son rôle dans cette comédie en 1997 n’obtient pas de succès aussi populaire sur la décennie qui suit. Elle se lance dans la chanson et fait un tube en duo en 2011, la suite de sa carrière musicale est plus confidentielle. En 2014, elle est candidate de “Danse avec les stars”.
Crédit artistique : pas beaucoup/100
Hype : pas des masses/100
2. La vidéo (la forme)
Premier problème, là ou Stromae déjà “en crise” se faisait “paparazzer” par un anonyme, il n’y a ici aucune raison rationnelle de la présence d’un caméraman, fusse-t-il amateur. Encore plus étrange, il est à 1 mètre de la table et cela ne dérange personne. Il ne s’est encore rien passé, que ça sonne déjà faux.
Deuxième problème, Tovati n’est pas si facile à identifier. Le contexte de la conversation encore moins. La situation dérape avant même qu’on la comprenne vraiment. La référence à Angèle (à qui ont lui demanderait de céder son “tube”) supposée être le déclencheur ne fonctionne pas, car ce n’est tout simplement pas crédible. Le pétage de câble qui suit n’a du coup pas de sens et je passe sur la mise en scène “télé réalité”.
Elisa Tovati par ses propos “Je souffre”, “Vous m’avez tuée” réclame l’empathie du spectateur au lieu de la provoquer. Mais celui qui s’énerve n’est jamais celui qui obtient l’empathie, il y a erreur sur le ressort psychologique.
De plus, pour la soutenir dans son combat artistique (aussi flou soit-il), il faut que dans l’inconscient collectif que Elisa Tovati ait une image d’artiste accomplie. Hors la vidéo s’appuie sur une image… Qui n’existe pas. Donc ça ne marche pas. Pire, c’est la véritable image de l’artiste qui est renforcée, celle d’une célébrité en perte de vitesse. Qui semble là aux abois.
3. Le message
C’est là que se situe sans doute le plus gros problème : on ne le comprend pas. Il a dû être expliqué dans de longs messages et même après lecture… Ce n’est pas si clair. Bref, le clip révélé ne fait pas immédiatement sens avec le prank.
Enfin le scandale public et la difficulté de faire carrière pour une femme artiste après 40 ans (puisque c’est de ça qu’il était supposé s’agir) ne sont pas des situations et problèmes auxquels on peut immédiatement se relier. Contrairement à la méchante gueule de bois de Stromae, désespéré par sa rupture.
4. Le reveal
Dernier clou rivé sur le flop de cette opération, un reveal dès le lendemain, bricolé, compliqué… illisible. Et sans aucun effet “bien joué” puisque personne n’y avait cru. La tentative de faire croire à un leak accidentel qui accentue l’impression le sentiment global que Tovati a pris les gens pour “des cons”. Et ils le lui rendent bien.
Là ou Stromae faisait appel à leur intelligence.
5. La nouveauté
Hors sujet ?
Conclusion
Mais du coup, Angèle va chanter ce tube ou pas ?? 😉